Que reste-t-il du naturel chez les chiens présentés en exposition de beauté ?
« Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile » La Fontaine
La première société canine voit le jour en Angleterre en 1873 (la première exposition de chiens en 1859 ayant eu lieu à Newcastle), Le premier livre des origines (Stud Book) paraît en 1874, et le premier club de race fut celui du Bulldog. Une première exposition officielle a lieu au Cristal palace à Londres du 17 au 20 juin 1873. Le Kennel Club attache beaucoup d’importance à l’éducation à l’obéissance. Des épreuves ont été présentées pour la première fois à l’exposition de 1920.
En France la première exposition canine « universelle » se déroule du 3 au 10 mai 1863, au jardin d’acclimatation du bois de Boulogne sous les directives de la “ Société Impériale d’Acclimatation ”.
Le président du comité d’organisation et du jury était le professeur au Muséum, M. de Quatrefages, et le directeur de l’Exposition, M. Geoffroy-Saint-Hilaire, un autre éminent scientifique qui écrira :
« Ce n’était pas un spectacle de curiosité, encore moins un marché qu’on se proposait d’ouvrir. On voulait, sous un point de vue scientifique autant que pratique, réunir une collection de chiens aussi complète que possible, afin de distinguer les races pures, utiles, ou d’agrément, et les croisements bons à conserver. Faire, en un mot, une étude et une révision générale de l’espèce. De là, le titre d’universelle, donné à cette Exposition. ».
La Société Centrale Canine fut fondée à Paris le 30 juin 1880 au cercle de la chasse (les plus nombreux) par la section du jockey Club.
En 1884 la société utilisant l’article 12 de ses Statuts se transforme définitivement en Société Centrale pour l’amélioration des races canines.
La première exposition de la nouvelle société canine a lieu sur la terrasse de l’orangerie des Tuileries. Près de 600 chiens sont réunis dont 117 chiens d’arrêt et 280 chiens de meutes.
Les chiens étaient divisés en 29 sections et 11 groupes.
Il y avait deux juges :
– un jury d’admission de 6 membres devant décider si les animaux présentés étaient sains et présentaient les caractères d’une race déterminée.
– Un jury de quinze membres nommés par les exposants, chargé de procéder aux classements !
Dans l’Illustration du 7 juin 1902, un témoin raconte avec humour l’ambiance de ces rencontres canines, qui n’ont pas beaucoup perdu de leur piquant : “ A les voir, nonchalamment étendus sur leur litière de paille, dans leurs étroites cages, somnolents, indifférents, les doux philosophes ! Même les plus primés et les plus couronnés, à la gloire que procurent les médailles, à la considération que leurs témoignent les visiteurs attroupés devant leurs boxes, et dédaigneux des appels que leur adressait quelque amateur désireux de les admirer en détail, de les faire se lever, aller, venir, montrer enfin, sous le tissu soyeux de leur robe, le jeu aisé de leurs muscles, je m’apitoyais volontiers sur leur sort. ”
Et un superstitieux respect m’envahit. Puis, après avoir observé le manège des maîtres : je compris, je sentis que j’étais bien, en réalité, en présence d’un culte respectable comme tous les autres cultes, ayant ses rites, ses grands prêtres, et sans doute ses bedeaux, ayant même, à l’exemple de certaines religions antiques, sa langue sacrée, incompréhensible au troupeau banal, sa langue ésotérique, qui est l’anglais, comme de raison ; si bien que ce que nous appelons vulgairement un épagneul, les initiés le nomment Spaniel ; qu’un Lévrier devient un Harrier et que le chien se traduit dog. ”
L’examen du chien en beauté
En 1939, Paul Megnin, avait son avis sur la manière de présenter en beauté. Celle des anglo-saxons et des handlers mettant le chien en station forcée et qui oublient le « naturel »…
« De la tenue Messieurs-Dames, si lorsque vous êtes accroupis devant votre chien lui prenant la queue, vous vous regardiez dans une glace, vous vous apercevriez que vous êtes d’un ridicule achevé et d’autre part c’est faire injure au juge que de tripoter ainsi votre chien, il a assez l’œil pour voir les qualités et les défaut »
L’examen statique, devrait être celui du chien au repos, sans que l’homme n’use d’artifice pour masquer les défauts: tirer une des pattes arrières, soulever l’avant-main, tenir la tête et la queue, etc.
L’examen dynamique, c’est l’étude du mouvement et des allures. L’action pure qui devrait être estimée sans que le chien soit attaché, car là encore l’homme peut tricher en soulevant le chien, en le faisant tracter en l’obligeant à se camper, etc.
« L’harmonie est un critérium de beauté et c’est aussi celui de la beauté ethnique. Les types harmoniques sont ceux des races pures, anciennes et naturelles : les types inharmoniques sont le résultat d’opérations artificielles d’élevage » P. Mégnin
C’est dans ces concours de conformité au standard (que l’on préfère appeler concours de beauté), que l’on croise quelquefois des maîtres qui ont une très haute valeur de leur animal, s’identifiant à lui, au point de considérer les qualificatifs que l’on attribue à leur chien pour eux-mêmes : « excellent, best in show, etc. ». Leur devise étant « être vu de tous et partout », il arrive même qu’ils présentent un chien ou une chienne avec qui ils sont surs de gagner, prenant la première place (même si leur animal est castré ou stérilisé), quelquefois au détriment de jeunes reproducteurs ou reproductrices qui mériteraient d’être connus.
On remarquera également que la manière de présenter certaines races favorise l’apparition de sujets agressifs. Si on prend l’exemple du Boxer où l’on recherche le « campé », avec le corps projeté en avant, la présentation qui est faites en plaçant les sujets face à face en est l’illustration (une confrontation qui ne peut aller jusqu’au contact va avoir tendance à instrumentaliser l’agression de l’autre de manière systématique). A l’époque j’avais écrit un article pour le club de race afin que cesse ces pratiques et on conseillant l’utilisation de la Méthode Naturelle pour obtenir cette présentation, avec une friandise ou un jouet dans la main jusqu’au bon conditionnement (ce que font presque tous les présentateurs de nos jours).
L’examen du chien pour les jugements est souvent subjectif car si le standard est immuable, chaque juge (ils sont tous bénévoles) a sa façon de l’interpréter (ce ne sont pas des machines) en fonction de son idéal pour la race et du point du standard qu’il privilégie. Ensuite, chacun a sa façon de procéder selon la race; examen individuel, en groupe, en sous-groupe.
Examen en statique visuel (harmonie de l’ensemble, expression, poitrail, garrot, dos, largeur du crâne, forme des mâchoires, port de la queue et des oreilles, largeur de la cuisse, pigmentation, couleur des yeux et des ongles, aplombs) et manuel (dentition, rigidité du dos, texture du poil, toise pour la taille au garrot, intégrité sexuelle pour les mâles).
Examen des allures (pas allongé ou trot) avec le chien en mouvement (il est donné par l’appui de la patte arrière et sa poussée sur le sol, ensuite transmis au dos et aux membres antérieurs. Les membres antérieurs servant de soutien et d’amortisseur, les membres postérieurs à la propulsion, le centre de gravité étant situé sur la partie antérieure du sternum).
Il s’agit d’experts pour une ou plusieurs races, là où le bât blesse c’est lorsqu’il s’agit de juges « all-rounds » habilités à juger toute les races car la question que l’on est en droit de se poser, c’est : « comment peuvent-ils mémoriser les standards de toutes les races? ». Un autre problème résurgent, c’est, comment est apprécié le caractère des sujets présentés? On voit trop souvent des chiens craintifs ou agressifs, ressortir du ring avec la confirmation (possibilité de reproduire) ou des titres (excellent ou champion), alors que nous savons qu’il y a de grandes chances pour que ces caractères soient transmis à leur descendance.
Le Dr Maurice Luquet a écrit que les qualités d’un bon juge sont :
– Avoir une parfaite connaissance de la race et des connaissances cynotechniques
– Avoir le coup d’œil
– Faire preuve d’impartialité et d’incorruptibilité absolues
– Avoir des rapports de parfaite correction avec l’exposant
– Être un éducateur
Je ne peux résister à citer ici A. Pecoult et J. Coly qui résument assez bien l’univers des concours de beauté :
« Il y a ceux qui exposent pour gagner, ceux qui exposent pour participer, ceux qui exposent pour voir…
Les premiers sont vraisemblablement les plus nombreux, bien que ceux qui ont, ou qui se donnent vraiment, les moyens de gagner le soient moins. Il est heureux qu’il y ait des gens pour présenter parfaitement des chiens en parfaite condition et pour donner des races qu’ils représentent la meilleure image possible, les expositions ne sont-elles pas des concours de beauté ?
Il y a malheureusement aussi ceux qui, pour gagner, sont prêts à tous les maquillages et autres truquages interdits ou simplement réprouvés, il faut pour ceux-là espérer que des juges avertis ne se laissent pas prendre au piège. Il y a ceux qui exposent pour participer, ceux qui savent que leur chien n’est pas un crack, ou n’est pas très en état, ils n’ont pas tort d’exposer, car ceux-là viennent chercher l’avis d’un connaisseur en la personne du juge, et cet avis leur fera peut-être mieux voir les qualités et les défauts de leur chien, et leur permettra sans doute d’améliorer leur production s’ils font une portée ou un peu d’élevage.
Quant à ceux qui viennent pour voir, ils sont souvent les plus déçus. Ils n’ont pas l’habitude des expositions, trouvent le temps long, se font souvent reprocher de mal présenter leur chien, et si de surcroit le chien en question se classe mal, le juge est un âne et les jugements sont des coups montés. La plupart soient irréductibles et ne remettent plus les pieds dans une exposition… » A. Pecoult
« Est-ce que les préoccupations esthétiques doivent passer pour une exigence primordiale, ainsi que cela se pratique pour le Caniche, le Bobtail, le Bichon Maltais ou le Schnauzer par exemple ? (…) Car l’esthétique bergère n’est pas seulement le fait du « chien joli ». Un chien trop préparé, voire parfumé deviendrait – Nous en sommes d’accord- un bibelot de vitrine. » Jacques Coly
« Voulons- nous des chiens de travail utiles, ou des show dogs pour handlers professionnels ? Certes on nous demande, à nous juges, d’estimer les qualités esthétiques, la concordance avec un modèle de beauté, et même à la limite, le tempérament. Pourtant ces deux conceptions ne sont pas incompatibles : ce qui est fonctionnel est toujours beau. C’est une évidence pour le Grey-hound comme pour le Bull Dog, ou alors il nous faut retrouver le bon sens que nous avons tendance à perdre » Dr J. Millemann
« Ce que j’aime en France, c’est que les chiens puissent travailler. Quant aux expos, je n’aime pas la championnite. Pour l’instant dans le monde, c’est plutôt le côté « show » qui gagne et je ne crois pas que ce soit une bonne chose » Professeur Raymond Triquet
Hélas, c’est ce qui se passe dans les pays où il y a beaucoup de chiens comme les Etats-Unis (environ 50 millions de chiens), les lignées « show » domine le marché pour leur esthétique et pour le fait qu’elles flattent l’égo des maîtres, même si au niveau aptitudes physiques, caractère et intelligence, il ne reste plus grand-chose. A tel point que, par exemple pour les chiens de service de la douane, la police ou l’armée, malgré les cheptels impressionnants de chiens dits d’utilité, les administrations soient obligées d’aller chercher leur chiens en Europe de l’est.
On comprendrait, même si c’est avec réticence, que l’on prenne les chiens d’agrément ou de compagnie (9ème groupe) pour des peluches à exposer, on a du mal à l’admettre pour des chiens comme les chiens de berger qui ont en théorie, à la base, des aptitudes au travail.
Un autre exemple frappant c’est le berger australien qui maintenant est devenu en France, à l’instar des Etats-Unis, son pays d’origine, une véritable gravure de mode, avec un toilettage très important qui peut modifier de manière radicale l’aspect du chien en masquant ses défauts : des shampoings pour rehausser les couleurs, donner un poil plus volumineux ; un pulseur d’air chaud pour faire gonfler le poil ; l’usage du ciseau sculpteur sur les oreilles, les pattes, la queue, le dos…
Si ce n’est n’était que cela, mais il y a également une atteinte au bien-être psychologique du chien, en l’obligeant dès le plus jeune âge à garder la position demandée de plus en plus longtemps ou à trotter avec un collier étrangleur pour le diriger, même si ma Méthode Naturelle est également utilisée avec la friandise dans la main pour fixer.
Est-ce le prix à payer pour la popularité ? Il faut savoir que la race est relativement récente en France, puisqu’elle ne sera reconnue par la FCI, à « titre provisoire », qu’en 1996, pourtant elle est devenue à la mode puisque en nombre de naissance dans le groupe 1 des chiens de bergers, elle est en troisième position derrière le berger allemand et le malinois. Plaire de manière aussi évidente a ses inconvénients, on a pu le constater avec d’autres races qui ont perdu leur identité utilitaire au bénéfice de l’esthétique… Il existe un moyen simple, pour pallier à cette dérive, c’est d’encourager les maîtres à faire du sport avec leurs chiens, en particulier dans les épreuves de travail.
Enfin, pour clore ce chapitre du spectacle, on peut voir de plus en plus souvent des handlers (présentateurs), comme aux Etats-Unis, des personnes habillées comme pour aller en soirée chic, avec tailleur ou costume, maquillage, avec des coloris assortis aux couleurs des chiens présentés. On a l’impression d’être dans un défilé de mode ou les mannequins sont accompagnés de chiens pouponnés, sauf qu’ici il s’agit de présentation de chiens.
Alors les questions que l’on peut se poser, c’est comment retrouver le naturel de ces chiens à travers tous ces artifices, comment savoir si esthétiquement il correspond vraiment au standard, comment les juges parviennent à appréhender le sujet présenté à qui on lève la tête, on place les pattes, avec des présentateurs qui jouent un rôle important pour influencer leur jugement ?
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